Ce sujet de thèse est proposé au concours du programme doctoral « Interfaces pour le Vivant » de Sorbonne-Université.
La thèse sera co-encadrée par Damien Jougnot, Roger Guerin du laboratoire Metis (https://www.metis.upmc.fr) et Naoise Nunan de l’Institut d’Ecologie et des Sciences de l’Environnement de Paris (https://ieesparis.ufr918.upmc.fr).
La date limite de dépôt du dossier du candidat qui sera retenu pour être présenté au concours est le 5 mai à 12h00. Les auditions auront lieu les mercredi 15 et Jeudi 16 mai 2019.
Pour plus d’informations sur le sujet et sur les modalités du concours, merci de nous contacter : damien.jougnot@upmc.fr; roger.guerin@upmc.fr; naoise.nunan@upmc.fr
Ce sujet de thèse se propose de faire un travail de recherche faisant appel à des notions d’enzymologie, de microbiologie des sols et d'hydrogéophysique. Cette combinaison novatrice de disciplines a pour objectif de mieux comprendre comment les interactions entre microorganismes des sols et leur environnement influencent leur activité. Ce projet a émergé d’une journée scientifique de la Fédération IDF de recherche sur l'environnement (FR 3020FIRE) réunissant diverses compétences dans les domaines des sols et de l’eau. La FIRE a financé le stage de master de D. Bouakkaz en 2018, au cours duquel les dispositifs expérimentaux ont été mis en place et des résultats préliminaires intéressants obtenus.
Contexte
Les sols agricoles sont au coeur des préoccupations sociétales actuelles. Alors que l'on cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre et/ou à les compenser, les sols agricoles en sont de substantiels émetteurs et leur stock de carbone diminue un peu partout dans le monde. Pour contrecarrer cette tendance, l'évolution des pratiques agricoles apparaît comme un enjeu majeur. Toutefois pour évaluer les impacts et évaluer l'efficacité de nouvelles pratiques agricoles, les modèles actuels de flux de carbone, développés à l'échelle de la parcelle, ne représentent pas de façon satisfaisante la biodégradation des matières organiques du sol (MOS) par les microorganismes. Les recherches menées sur la dynamique du carbone suggèrent que la stabilité du C dans les sols est davantage une propriété de l’écosystème (interactions avec la matrice minérale du sol, séparation spatiale entre organismes décomposeurs et MO...) qu’une propriété intrinsèque des molécules formant la matière organique (Schmidt et al., 2011). Ce serait donc vers les interactions entre la composante biologique et son environnement physico-chimique qu’il faudrait se tourner pour bien appréhender la dynamique du C dans les sols.
Il a été observé que la minéralisation des MOS est souvent linéaire avec la racine carré du temps, typique de processus limités par la diffusion (Nunan, 2017). Dans ce cas de figure, les propriétés du milieu qui affectent les chemins de diffusion vers les organismes décomposeurs auront une influence profonde sur la minéralisation. Les chemins de diffusion varient en fonction de la connectivité et de la tortuosité de la phase fluide dans le réseau poral. Ce volume aqueux, connecté à un organisme décomposeur, peut être vu comme le « volume actif » du sol dans lequel certaines molécules organiques peuvent librement diffuser.
Objectifs scientifiques
Les objectifs de cette thèse sont d’évaluer expérimentalement l’hypothèse d’une limitation de la décomposition du C organique par la diffusion et de caractériser les propriétés de la phase fluide qui influencent la diffusion (distribution et connectivité de la teneur en eau dans le milieu) par des approches utilisées en hydrogéophysique (mesure de la tortuosité et connectivité électrique).
Problématique
1. Limitation de la décomposition par la diffusion
La décomposition des MOS est catalysée par des enzymes d’origine microbienne (Schimel and Weintraub, 2003 ; Kim et al., 2015). Les enzymes du sol sont généralement adsorbées sur des surfaces et la cinétique d’enzymes immobilisées diffère significativement de celle d’enzymes libres qui, elles, suivent une cinétique de type Michaelis - Menten. En biotechnologie, où l’on cherche à immobiliser les enzymes afin de ralentir leur dénaturation (Chaplin and Bucke, 1990), des études ont montré que l’activité des enzymes immobilisées étaient modulées par le rapport entre la vitesse maximale de catalyse (exprimée par unité de surface) et la vitesse de diffusion du substrat, appelé le nombre de Damköhler (Chaplin and Bucke, 1990). Les caractéristiques cinétiques spécifiques des enzymes michaeliennes et des enzymes limitées par la diffusion devrait permettre de déterminer la part de la diffusion dans la régulation de la minéralisation des matières organiques des sols.
2. Caractérisation de la phase fluide
Afin d’affiner la notion de « volume actif », il convient de caractériser la distribution de la saturation et les chemins de diffusion dans le réseau poral. La diffusion effective en phase aqueuse est fonction de la tortuosité et de la connectivité de la phase fluide (Revil and Jougnot, 2008). Dans des milieux poreux, ces paramètres dépendent de l’interaction entre le degré de saturation et l’architecture du réseau poral (Jougnot et al., 2018). De plus, il a été montré que la distribution de la saturation ne dépend pas seulement de l’organisation du réseau poral mais aussi de la structure des pores et de la dynamique de la saturation (Maineult et al., 2018).
Comme la connectivité du réseau poral et la connectivité de la phase aqueuse dans le réseau poral ne sont pas fortement reliées en conditions non-saturées, les chemins de diffusion ne sont pas bien décrits par des mesures de la géométrie (connectivité, tortuosité) du réseau poral, tel qu’on les obtient par tomographie à rayons-X.
La mesure de la résistivité électrique est une méthode géophysique non-intrusive (mesures en surface du milieu) et intégratrice (représentative d’un volume défini par l’écartement entre les électrodes) (e.g., Guérin, 2005). Elle peut être utilisée comme proxy pour déterminer la teneur en eau d’un milieu poreux et la connectivité de la phase aqueuse dans cette porosité (Jougnot et al., 2018). En utilisant les modèles pétrophysiques appropriés, il est possible d’estimer les coefficients de diffusion des différentes espèces ioniques dans le milieu à partir des mesures électriques (Revil and Jougnot, 2008 ; Jougnot et al., 2009). La résistivité électrique est une propriété du milieu poreux qui devrait être considérée comme un tenseur, tout spécialement dans le cas des milieux partiellement saturés où l’anisotropie est plus importante (Jougnot et al., 2018). La répétition de mesures de résistivité selon différentes configurations permet à la fois d’assurer un suivi temporel de ce paramètre et de son anisotropie, donc de l’évolution de la connectivité de la phase aqueuse (Maineult et al., 2018).
Des résultats préliminaires prometteurs montrant une relation significative entre le dégagement de CO2 de cylindres de sol de 8 cm de haut et la connectivité de la phase fluide à différents niveaux de saturation (Fig 1).
Ces résultats ont été obtenus sur un seul sol. Il convient de répéter ce type de mesures sur des sols de différentes textures afin d'approfondir l'étude de la relation entre ces deux paramètres dans différentes conditions.
Méthodologie et démarche :
La thèse comportera deux parties expérimentales : (1) mise en évidence d’une limitation de l’activité de décomposition par la diffusion et (2) caractérisation de la connectivité de la phase fluide. Les deux parties expérimentales utiliseront une gamme assez large de sols (entre 10 et 15 sols ayant des textures et des teneurs en C différentes) afin de vérifier la généricité des résultats obtenus.
1. Limitation de la décomposition par la diffusion. Dans les couches profondes du sol, les communautés microbiennes, et donc les sites de décomposition, sont plus dispersées qu’en surface (Nunan et al., 2002). Les distances entre les sites de décomposition sont, en moyenne, plus grandes et les chemins de diffusions des substrats plus longs. Nous faisons donc l’hypothèse que la diffusion imposera des contraintes plus fortes sur la décomposition des MO en profondeur qu’en surface. Cette hypothèse sera testée en apportant différentes concentrations d’un substrat marqué au 13C (isotope stable du carbone) à des cylindres de sol prélevés en surface et en profondeur, et en mesurant le taux de minéralisation en réponse à cet apport. L’augmentation du taux de minéralisation en fonction de la concentration de substrat apporté sera établie et la forme de la relation déterminée. Etant donné que la concentration des MO disponibles est faible dans les sols (Davidson and Janssens, 2006), les concentrations de substrats apportés seront aussi très faibles, d’où la nécessité d’utiliser un marquage isotopique. L’importance de la diffusion dans la régulation de la minéralisation de la matière organique sera déterminée par modélisation des courbes obtenues.
2. Caractérisation de la phase fluide. Les travaux menés en pétrophysiques depuis plusieurs décennies ont montré la capacité de la résistivité électrique à quantifier la tortuosité et la connectivité de la phase aqueuse (i.e. conductrice) dans un milieu géologique consolidés (roche) ou non consolidé (sol) (Clennel, 1997). La récente application de la pétrophysique à l'approche hydrogéophysique a permis de grands progrès dans l'utilisation de mesures géophysiques, particulièrement la résistivité électrique, comme proxy de propriétés de transport en milieu poreux partiellement saturés en eau. Nous utiliserons cette méthode, simple à mettre en oeuvre et rapide à mesurer (~1 s), pour relier la distribution de la résistivité électrique dans le milieu poreux et son anisotropie pour quantifier et suivre l'évolution des chemins de diffusion à différentes saturation en eau. Les mesures de résistivité électriques seront complétée d'une série de caractérisations pétrophysiques classiques (porosité, argilosité, tomographie de rayons X). L'importance de l'identification de modèles pétrophysiques adaptés aux différents types de sols sera une avancée supplémentaire au travail déjà réalisé (travail de Master de Djallel Bouakkaz en 2018).
Moyens mis à disposition :
Le travail expérimental sera principalement mis en oeuvre au sein du laboratoire d’hydrogéophysique à l’UMR 7619 METIS (UPMC), où D. Jougnot a déjà tous les dispositifs expérimentaux nécessaires sur place. Les microcosmes dans lesquels les mesures seront faites sont disponible à iEES Paris et serviront au dimensionnement précis du système. La thèse se déroulera dans le cadre d’un projet ANR (Soilμ3D, 2017-2020) qui vise à comprendre les régulateurs à micro-échelle de la dynamique du C dans les sols. Il est aussi envisagé de faire une demande de financement à EC2CO cette année.
Bibliographie :
Bouakkaz, D. (2018) Caractérisation physique du domaine d’activité microbiologique dans les sols. Rapport de stage de Master 2, encadré par D. Jougnot et N. Nunan. Université Paris Créteil, France.
Chaplin, M.F., Bucke, C. (1990) Enzyme technology. Cambridge University Press, R-U.
Clennell, B. (1997). Tortuosity: A guide through the maze. Geological Society, London, Special Publications, 122(1), 299–344.
Guérin, R. (2005) Borehole and surface-based hydrogeophysics. Hydrogeology Journal, 13(1), 251-254.
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Kim H, Nunan N, Dechesne A, Juarez S, Grundmann G (2015) The spatial distribution of exoenzyme activities across the soil microlandscape, as measured in micro- and macro-aggregates, and the relationship with ecosystem function. Soil Biology & Biochemistry, 91,
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Références bibliographiques pertinentes des équipes
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Ruamps, L.S., Nunan, N., Pouteau, V., Leloup, J., Raynaud, X., Roy, V., Chenu, C. (2013) Regulation of soil organic C mineralisation at the pore scale. FEMS Microbiology Ecology 86, 26–35.
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