Note de lecture de l’ouvrage de Marc André Sélosse

L’origine du monde. Une histoire naturelle du sol à l’attention de ceux qui le piétinent

L’auteur

Marc-André Selosse est biologiste, mondialement reconnu pour ses travaux sur les symbioses, plus particulièrement celles concernant les mycorhizes. Il est professeur au Museum national d’histoire naturelle. Il revendique aussi d’être un « naturaliste » ce qui fait comprendre le sous-titre de l’ouvrage Une histoire naturelle du sol… La locution « Histoire naturelle » faisait partie du sous-titre de son précédent ouvrage publié aussi chez « Actes Sud » : Le goût et les couleurs du monde… avec comme cible, pour les deux ouvrages, un même public non scientifique. Si le terme d’histoire naturelle est apparu en français au XVIe siècle pour désigner les livres décrivant les objets de la nature, au XXIe siècle, le Muséum national d’histoire naturelle propose la définition suivante: « Historiquement, c’est l’enquête, la description de tout ce qui est visible dans le monde naturel : animal, végétal, minéral. » Le Manifeste du Muséum (2017) précise que l’étude de la diversité des sociétés humaines fait partie intégrante de l’histoire naturelle. Et, enfin, que les conceptions de l’histoire naturelle n’ont cessé d’évoluer au cours du temps, pour conclure que : « L’histoire naturelle aujourd’hui, c’est l’étude de la diversité du monde vivant et du monde minéral et de ses interactions avec l’homme. C’est comprendre comment cette diversité s’est construite et quelle est sa dynamique ». On ne peut trouver meilleure définition pour résumer « l’histoire naturelle du sol » telle que présentée dans cet ouvrage.

Nombre de pages : 480

Prix adhérents AFES : 22,8 € (frais de port compris)

Prix public : 24 €

Lien vers la page de présentation de l’ouvrage

Présentation de l’ouvrage

Le livre est structuré en trois parties nommées « Actes ». Les deux premières comportent chacune 5 sections, la troisième quatre. L’ouvrage se termine par une conclusion intitulée « épilogue ». Un glossaire et une liste de titres d’autres ouvrages actuels de science du sol viennent compléter l’ouvrage. Voici l’organisation de l’ouvrage :

Introduction : Balade en brun, aux abords de l’invisible.

Acte I. L’âme des sols : les ingrédients d’un grand pot-pourri
1. Un dur au coeur tendre : de la fraction solide du sol
2. L’ambroisie souterraine : de la fraction liquide du sol
3. L’attachement du sol à la fertilité : des colloïdes du sol
4. La vie palpitante du sol : du sol comme un écosystème
5. Le sol ne manque pas d’air : de l’atmosphère souterraine au climat

Acte II. La dynamique des sols : quand le vivant façonne l’inerte
6. Le sol, du berceau à la maturité : de la pédogenèse
7. Le vaste pourrissoir : de la décomposition et de la minéralisation
8. Humus actif et humus fainéant : de la dynamique de la décomposition
9. Faire fondre le coeur des pierres : de l’altération des roches
10. Les sols en mouvement : de la bioturbation à l’érosion

Acte III. Du sol à la plante : excursion souterraine dans la vie végétale
11. Une mère nourrissante mais indifférente : de l’alimentation des plantes
12. Contrariétés souterraines : du sol comme réservoir de maladies
13. Entraides souterraines : du sol comme réservoir de symbioses
14. Les affronts faits au sol : de l’insulte à la réparation

Épilogue : de l’origine du monde à la fin des temps, une symphonie en sol majeur ?

Avec le titre et la séquence du sommaire il n’échappe pas au lecteur que M-A. Selosse adopte un style narratif personnel, d’un récit sous la forme des ouvrages d’« histoire naturelle » comme on pouvait en faire dans le passé : on raconte une histoire scientifique « pour les petits et les grands » : ici ce sont quand même plutôt les grands et, qui plus est, qui ne sont pas totalement dépourvus d’une certaine culture scientifique même si l’auteur revendique de s’adresser à tout public. Le discours peut emmener le lecteur dans une forêt, sous une serre, mais aussi dans sa cuisine, voire dans bien d’autres endroits, en France ou dans le monde : le lecteur va voyager parfois loin de chez lui Australie, Amazonie, Caraïbes, Nouvelle-Calédonie, Afrique, etc. N’allez pas croire que le discours scientifique est élémentaire. Bien souvent, au travers des différentes sections, même un lecteur spécialiste du sol va beaucoup apprendre, surtout dans le domaine du fonctionnement biologique du sol, la spécialité de l’auteur. Dans d’autres sections, il pourra être un peu déçu, mais le lecteur non scientifique probablement pas. Partout, le discours lie la science aux biens et services que procure le sol à l’humanité et ils sont nombreux.

L’Acte I présente le contexte, les ingrédients de la mise en scène où apparaissent les différents acteurs et les éléments du décor. M-A. Selosse y dresse un descriptif des constituants du sol : ceux des phases solide liquide et gazeuse. Pour la phase solide, un accent est mis sur les colloïdes minéraux et organiques du sol et sur leurs interactions, ce que les scientifiques du sol nomment interactions organo-minérales.

Le vivant commence à prendre de l’ampleur dès la section 4 pour convaincre le lecteur que le sol est en soi un écosystème, ce qui n’est pas du tout une évidence pour des non-spécialistes. Le néophyte découvre donc la grande hétérogénéité physique, chimique et biologique du sol mais réalise que ce sol est organisé et constitue un vrai laboratoire de biogéochimie.
On peut signaler aussi que l’ouvrage ne vise pas à couvrir l’ensemble de la science du sol que l’on enseigne à l’université. Ainsi, est-il peu question de la diversité des sols sur la Terre, de leur géographie, de leur classification. De même, dans l’organisation des sols, s’il est largement question de porosité, il en est très peu de la notion d’agrégats et de l’organisation des sols de la particule élémentaire au paysage, ce que l’on appelle la couverture pédologique. La matière organique, constituant majeur des propriétés des sols est essentiellement caractérisée ici dans une approche chimique avec les substances humiques, alors que d’autre approches, en particulier physiques, sont mises en oeuvre de nos jours. Mais l’essentiel pour décrire les sols avant d’aborder la vie qu’ils accueillent est bien mentionné dans cet Acte 1.

L’Acte II est au cœur de nos préoccupations. Y sont présentées l’altération des roches et la pédogenèse, la néogenèse des minéraux secondaires, les dynamiques de minéralisation et de décomposition, les formes des humus. Signalons que la section « Lorsque les sols parurent… », qui fait l’hypothèse de l’apparition des sols il y aurait quelques quatre cent millions d’années, est particulièrement exemplaire et originale, laissons le lecteur la découvrir. L’originalité de l’hypothèse s’appuie en partie sur les travaux biologiques de l’auteur associés aux connaissances les plus actuelles de la paléobotanique et de l’histoire du climat. Beaucoup d’envolées de ce genre apparaissent dans cet ouvrage et en font un ouvrage un peu unique sur les dimensions biologiques de la science du sol.

La bioturbation et l’érosion viennent en fin de cette partie. Sur la bioturbation l’auteur met bien exergue l’importance des activités fauniques. On aurait pu aussi évoquer la question de la microporosité d’origine racinaire qui est aussi une des clés du fonctionnement hydrodynamique du sol. La question de l’érosion est largement développée, l’originalité est de faire côtoyer le cycle de l’érosion-sédimentation avec les activités humaines tout en alertant sur l’accroissement de l’érosion et des perturbations biogéochimiques induites par nos activités.

Au cours de ce second Acte l’ensemble de la pièce est en place et le récit explose dans le troisième. En effet, l’Acte III foisonne en informations scientifiques pointues ; comme l’auteur l’admet, une partie d’entre elles était dans ses précédents ouvrages, et bien entendu dans ses écrits scientifiques. Nous sommes au coeur du biofonctionnement du sol avec toutes ses interactions, lues par un biologiste spécialiste des synergies mycorhiziennes, et qui restitue les conditions et les fonctionnements qui maintiennent le cadre de croissance des végétaux. Nature, forme et fonctionnement des racines, sidérophores, endo et ectomycorhizes, bactéries … tout y est. C’est un magnifique exposé de la recherche contemporaine. L’information est tellement riche et dense que, de temps en temps, on ne serait pas loin de lâcher pied …et donc cesser de « piétiner ce sol » ! Ce sont des sections à lire et… relire.

Le glossaire est vaste et surement utile pour un lectorat non scientifique. Les « Quelques lectures complémentaires » signalent les ouvrages et sites internet de science du sol en langue française.

Sur la forme, en tant que scientifiques, on regrette parfois, surtout pour les sujets (et il y en a beaucoup ici) qui sont peu traités dans les autres ouvrages généraux, de ne pas avoir les sources de l’information. Une liste bibliographique en fin d’ouvrage sur quelques sujets spécifiques aurait été bienvenue

En conclusion, et pour avis au Conseil d’Administration de l’AFES

Comme rappelé dans l’information préalable, le principal critère de l’AFES pour accorder une labélisation à un ouvrage sur le sol est celui de la qualité scientifique du contenu.
Si cet ouvrage montre quelques manques, en particulier dans l’Acte I pour ce qui concerne quelques aspects de pédologie générale, il est éblouissant dans les Actes II et III pour tout ce qui concerne le fonctionnement biologique des sols et les interactions sol et autres composants de l’écosystème.

Aussi les évaluateurs de cet ouvrage estiment qu’une labellisation AFES de cet ouvrage est tout à fait justifiée.

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