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Abbé Grégoire (1750-1831)

Abbé Grégoire

L’abbé Grégoire est une figure importante de la Révolution. Son esprit éclairé lui a fait demander l’abolition des privilèges et de l’esclavage. Il s’est battu pour le maintien des académies et le développement de l’agriculture.

 

Biographie 

La vie de l’Abbé Grégoire est décrite sur Wikipédia (4/12/1750-28/05/1831). Ici on insiste sur « la carrière agronomique » de l’Abbé. Le présent texte a déjà été publié dans les comptes-rendus de l’Académie d’agriculture de France (1990). Mais il n’était pas disponible sur Internet.

Henri Jean-Baptiste Grégoire encore appelé l’abbé Grégoire est curé d’Embermesnil, près de Lunéville, en Lorraine. Il  arrive à Paris pour y représenter le clergé de cette région aux Etats Généraux de 1789. On sait qu’il prit rapidement contact avec ce qui devait devenir le club des Jacobins, dont faisaient partie plusieurs des membres de la Société royale d’(Agriculture de France.
Quand il rédige ses mémoires en 1808, voici comment il se présente :
« A Vého (Meurthe) est né, le 4 décembre 1750, Henri Grégoire … puis évêque de Blois, membre de l’Assemblée Constituante, de la Convention, du Conseil des Cinq Cents, puis sénateur… membre de l’Institut national, de la Société d’Agriculture de Paris, d’Encouragement, de Philosophie chrétienne, de la Société royale des Sciences de Göttingen, société minéralogique d’Iéna, d’Agriculture du duché de Mecklembourg, de Turin, Marseille, Perpignan, Besançon, Vesoul, Nancy, Strasbourg, Mayence, Anvers, Cambrai, etc. ”
Il était donc fier de faire partie de douze sociétés d’agriculture au moins et fut effectivement, de 1798 à 1807, un membre actif de la Société d’agriculture du département de la Seine dont il demeura associé jusqu’à sa mort; il avait été déjà, de 1790 à 1793, correspondant de la Société royale d’Agriculture de France (1).
D’après H. Carnot (1840) :
« Le jeune curé d’Embermesnil ne se bornait point à une philanthropie théorique. Sur l’étroit théâtre où son action directe était restreinte, il s’efforçait de semer des germes salutaires. Non content d’enseigner par la parole des villageois de sa commune, il avait rassemblé au presbytère une collection de bons livres sur la morale et sur les arts utiles aux cultivateurs et en avait fait une bibliothèque publique pour ses paroissiens » (mémoires, p. 206-207).
1 – Les débuts de Grégoire en agronomie
Les relations de Grégoire avec la Société d’Agriculture ont pour origine un “mémoire ” de celui-ci « sur la dotation des curés en fonds territoriaux ». Il s’agissait de donner aux curés des paroisses rurales un petit domaine où ils pratiqueraient l’agriculture et donneraient ainsi l’exemple de bonnes techniques à leurs paroissiens.
La Société nomma deux commissaires, Broussonet et Boncert, dont Grégoire dit qu’ils devinrent depuis ses amis, gui firent un rapport favorable entériné par la Société.
« Mais le délire de l’intolérance foula aux pieds ce projet, de peur qu’il ne fut utile à la religion, à la morale, à l’indigence. Et par là fut tarie une source d’instructions favorables à l’agriculture ».
C’est à la suite de ces contacts avec la Société que Grégoire fut nommé correspondant, le 19 janvier 1790 (d’après Grégoire in Essai historique … , 1804, page 88).
Grégoire tenait le même langage au cours de son action politique :
« Dans la grande séance nocturne du 4 août 1789, il réclama et obtint l’abolition des annates : il ne témoigna point, quoi qu’on en ait dit, son regret de voir supprimer les dîmes; mais, tout en admettant que le clergé n’était que l’administrateur et non le propriétaire des biens dits ecclésiastiques, il demanda, particulièrement dans l’intérêt des pauvres et dans celui de l’agriculture, que l’on assignât aux curés une dotation en fonds territoriaux, qui pût subvenir à leurs besoins. »  (Carnot, p. 211).
Grégoire persista à proposer des mesures pour développer chez les agriculteurs des connaissances plus rationnelles. Député à la Convention, il proposa en 1793, alors qu’il faisait partie du Comité d’Instruction publique, de créer dans chaque département des” maisons d’économie rurale” (c’est-à-dire d’agronomie, suivant le langage de l’époque), sortes de stations agronomiques ou de centres de vulgarisation d’où seraient propagées les techniques nouvelles. Il ne fut pas suivi.
C’est ainsi qu’il proposa aussi de créer des jardins botaniques et tenta de placer les agronomes au plus haut niveau national.
Il réclama aussi les honneurs du Panthéon pour Olivier de Serres, l’auteur du Théâtre d’agriculture, qui, disait-il, méritait bien mieux cette gloire que Voltaire, « ce poète flagorneur de la cour et des divinités régnantes. » ¬«Oui, ajoutait-il, il serait sublime le moment où les représentants du peuple français porteraient en triomphe la statue d’un laboureur au Panthéon.»
Ce n’est pas la seule fois, pour le dire en passant, que l’évêque de Blois s’est exprimé d’une manière très défavorable sur le compte de Voltaire (Carnot, p. 231, etc.). Dans son rapport sur le conservatoire des arts et métiers, il dit: « celui qui le premier réunit les douves d’un tonneau, ou qui forma la première voûte: celui qui trouva le van ou qui rendit le pain plus digestif par le moyen du levain ; ceux-là, dis-je, méritèrent mieux de l’humanité que celui qui, soixante siècles après, écrivit la Henriade. » (Carnot, p. 232).
On voit naître ici l’histoire non événementielle, un siècle et demi avant Fernand Braudel.
Cependant, Grégoire traite de bien d’autres sujets en rapport avec la vie rurale (d’après Carnot).
« Nous citerons encore, parmi ses travaux législatifs à la Constituante, son opinion pour la suppression de la gabelle, une lettre aux citoyens du département de la Meurthe sur les salines de la Lorraine, et une proposition pour le dessèchement des marais, les défrichements et les plantations.  … en 1793, il publia une dissertation sur l’amélioration de l’agriculture par des établissements d’économie rurale, et une instruction sur les semailles d’automne, adressée aux citoyens cultivateurs, par ordre de la Convention nationale ».
2• Les événements de l’été 1793
Grégoire était président du Comité d’Instruction publique de la Convention. Or, la Société d’Agriculture avait alors un grave problème financier. Il le prit en charge et lui donna une solution positive: voici ce qu’en dit L. Passy (1912, p. 417) :
« Grégoire avait réussi, dans le Comité d’Instruction publique, à régler la situation financière de la Société et avait fait prendre, le 25 juillet 1793, une résolution tendant à reconnaître la somme de 36 000 francs, montant de la subvention annuelle de 12 000 francs pour les. années 1791, 1792 et 1793 (1)…  Le 1er août, Grégoire remit lui-même une expédition du décret relatif au traitement de la Société et le président Poissonnier lui renouvela l’expression des sentiments de gratitude de la Société tout entière. »
Mais, au début d’août 1793, le Comité de Salut public insistait pour que les Académies et les Sociétés soient supprimées.
Grégoire se concerta avec Lavoisier: « il fallait avoir l’air de céder aux circonstances, et proposer nous-mêmes la suppression des Académies, en exceptant celle des sciences, celle de chirurgie, et les Sociétés de médecine et d’agriculture … Malgré moi j’étais chargé du rapport; mais la Convention, fabriquant des décrets avec autant de facilité que des assignats, ne voulut admettre aucune exception et prononça la destruction de toutes les Sociétés scientifiques et littéraires (2) » (mémoires, p. 351).
Passy donne quelques détails supplémentaires qui montrent combien Grégoire a essayé de sauver la Société d’Agriculture. Rien n’y fit et durant cinq ans l’activité de celle-ci fut sinon nulle, du moins secrète et n’a pas laissé de traces.
3- Du Directoire à l’Empire
Lorsque la Société d’Agriculture se reconstitue le 12 juin 1798 sous la fiction d’une société départementale du département de la Seine, elle coopte des membres supplémentaires et nomme le 12 prairial an VI :
Grégoire, agronome, faubourg Germain n° 1142, membre de l’Institut, classe des sciences morales et politiques, ancien correspondant de la Société (document officiel cité par L.Passy, 1913, T. II, inédit).
L’abbé Grégoire a certainement fréquenté les agronomes du ministère de l’Intérieur, dont une des divisions concerne l’agriculture, puisque Passy signale : « A cette heure de 1797 où François de Neufchateau négocie la restauration de la Société d’Agriculture, nous le trouvons donc entouré par Creuze la Touche, Huzard, Gilbert, Chabert, Heurtault de Lamerville, Vitet, Descennets, Silvestre et Grégoire” (Passy, T.II).
Par ailleurs, on sait par ses biographes que Grégoire, sous le Directoire et le Consulat, s’occupa beaucoup de l’église française, soutenant des positions gallicanes et jansénistes et s’opposant de toutes ses forces au Concordat que devait réaliser Bonaparte.
Quand l’abbé Grégoire cessa ses fonctions au Conseil des Cinq Cents, il se trouva sans ressources. François de Neufchateau le fit alors nommer sous-bibliothécaire de l’Arsenal où il eut un logement fort correct et où il demeura jusqu’en décembre 1801, date à laquelle il fut nommé Sénateur. Certains auteurs disent que le poste fut créé par le ministre uniquement pour Grégoire et que le traitement était de 4 000 francs par an.
On trouve par ailleurs l’anecdote suivante : Dupont de Nemours semble avoir eu des difficultés financières (?) au début de l’Empire. Grégoire l’aurait appris et le fit nommer sous-bibliothécaire à l’Arsenal du 10 octobre 1807 au 7 juillet 1814 aux émoluments de 2 400 francs, Il démissionna sous la première restauration pour devenir Secrétaire général du Gouvernement. Pendant cette période, Ameilhon était administrateur de la bibliothèque de l’Arsenal.
Ces quatre personnages étaient membres de la Société d’Agriculture, François de Neufchateau en était alternativement Président et Vice-président un an sur deux et tous les quatre étaient parmi les plus surdoués de leur génération.
En 1802, il y eut de graves menaces sur « l’établissement agricole» qui avait été créé à la place de l’ancienne ménagerie du parc de Versailles et qui comportait plusieurs autres fermes. Il servait plus ou moins à des expériences agricoles (c’est l’ancêtre du C.N.R.A. actuel), La Société d’Agriculture chargea une commission dont faisait partie l’abbé Grégoire d’étudier le problème et de discuter avec le ministre de l’Intérieur. Il y eut une polémique assez vive, une visite du ministre sur les lieux, mais l’établissement et le troupeau de mérinos qui y était stationné furent conservés (Mémoires de la Société d’Agriculture, 1800, T. Il, pp.97-113).
C’est autour de 1804 que l’activité de Grégoire va devenir considérable en matière d’Agronomie.
Il rédige un mémoire très important sur l’état de l’Agriculture en Europe au seizième siècle, qui va être publié par la Société, dans l’édition de 1804¬-1805 du livre d’Olivier de Serres, à titre de complément et d’avant-propos. Cette édition, dirigée par François (de Neufchateau) et annotée par les grands agronomes de l’époque, est un événement.
La participation de Grégoire, dont l’érudition était appuyée sur les documents de la bibliothèque de l’Arsenal, très riche en ouvrages agronomiques, est surprenante.
Mais ce texte est encore plus étonnant par le plaidoyer qu’il présente pour que les puissances de ce monde s’intéressent davantage aux paysans et au développement du monde rural. Il est d’un modernisme étonnant et les appels de René Dumont restent modérés à côté de ceux du promoteur de la République. En même temps, Grégoire réclame que les historiens cessent de célébrer les événements militaires ou politiques et s’intéressent enfin à la vie économique et sociale des peuples. On retrouve là son plaidoyer pour une forme d’histoire qui n’existera vraiment que dans la seconde moitié du vingtième siècle.
Le deuxième aspect de la participation de l’abbé Grégoire à la vie de la Société d’Agriculture est administratif. Il a joué un rôle dans le conflit entre la Société et Napoléon qui, sans être de premier plan, semble avoir été considérable en coulisse. Voici ce qu’en dit L. Passy (1913) :
” Il fait partie de la commission qui établit le projet de règlement intérieur présenté le 9 janvier 1805 avec François de Neufchateau, Chaptal, Chassiron, Cambry, Parmentier, Tessier, Huzard, Olivier et Silvestre. »
Ce règlement fut accepté, mais l’Empereur refusa de ratifier la nomination de Silvestre comme secrétaire perpétuel, ce qui consacra une rupture larvée entre la Société d’Agriculture et Napoléon. Dans sa note de la page 40 du manuscrit, Passy s’interroge sur les raisons du refus de l’Empereur :
” Craignait-il de donner trop d’influence à un corps dont certains membres (étaient des opposants)… Cels, Grégoire et La Revellière¬Lespeaux, fort influents dans la compagnie. »
Le 2 septembre 1807, Grégoire demanda à devenir associé libre de la Société (l’équivalent de membre non résidant). Désormais, il se consacra à écrire ses mémoires et à des travaux religieux. Sans être proscrit en 1816, car il n’a pas voté la mort de Louis XVI, on le radia de l’Institut, mais il resta membre associé de la Société d’Agriculture de France jusqu’à sa mort en 1831.
Pourtant l’ostracisme dont Grégoire fut l’objet, notamment après 1819 qui vit son élection par le département de l’Isère et son invalidation, persista même à la Société d’Agriculture. Personne, même pas Silvestre, spécialiste du genre, n’écrivit sa biographie dans les publications de la Société. Et les annuaires sont bien timides en citant : Grégoire Henri (1908) ou Grégoire (Comte Henri) (1940), sans lui donner le titre d’abbé Grégoire qu’il porte devant l’histoire, … alors que le même annuaire cite tel général, tel maréchal, tel prince, tel roi et même de nombreux abbés comme l’abbé Lefebvre, qui fut d’ailleurs l’ami et le confrère de Grégoire.
Deux siècles après son admission comme correspondant, l’abbé Henri Grégoire entre au Panthéon. Mais ses biographes du vingtième siècle ignorent encore son œuvre d’agronome. Il était nécessaire de la rappeler à la tribune de l’Académie d’Agriculture de France.

Jean BOULAINE, Académie d’Agriculture de France

(1) Dans ses mémoires, l’abbé Grégoire parle seulement de 24 000 francs. C’était une somme considérable puisque le salaire moyen d’un ouvrier était de une à deux livres par jour.
(2)  Maindron, L’ancienne Académie des Sciences, Paris, 1888, p.68.