• AFES - Association Française pour l'Étude du Sol
  • L’AFES est la branche française de l'Union Internationale de Science du Sol (IUSS, International Union of Soil Science)
Albert DEMOLON (1881-1954)

Albert DEMOLON

Introduction 

Il a dominé la recherche agronomique française entre les deux guerres. Il apparaît maintenant comme un des guides intellectuels les plus marquants des agronomes du XXème siècle. Il a fondé l’AFES en 1934.

 

Biographie 

Albert Demolon est né le 30 avril 1881 à Lille. Il est décédé à Paris le 3 août 1954.

Ingénieur agronome INA (1901)
Directeur de la Station agronomique et du Laboratoire de microbiologie de l’Aisne à Laon. (1909)
Docteur es sciences; le sujet de la thèse est: « Recherches
physico-chimiques sur la terre à brique envisagée comme milieu
naturel ». (1926)
Inspecteur général des Stations et Laboratoires du ministère de l’agriculture. (1927)
Début de la deuxième série des « Annales agronomiques », dont il est
le fondateur et le rédacteur en chef, qui paraîtront jusqu’en 1980.
(1931)
Première édition de son livre « La dynamique du sol ». (1932)
Membre de l’Académie d’agriculture de France (2 mai 1934)
Fondateur de l’Association Française pour l’Étude du Sol (AFES) en 1934 avec Auguste Oudin
Premier président de l’AFES jusqu’en 1954
Directeur du Centre National de Recherches Agronomiques à Versailles. (1940)
Président de l’Académie d’agriculture en 1943
Élu à l’Académie des sciences, le 11 mars 1946.
Parution de son livre « La génétique des sols ». (1949)
Membre d’honneur de l’Association Internationale pour la Science du Sol (AISS ou ISSS et maintenant IUSS)
Nommé Commandeur de la Légion d’honneur en 1953.

 

Carrière
Albert Demolon prépare Polytechnique puis l’Institut national agronomique dont il sort Ingénieur agronome en 1901. Il enseigne d’abord la Physique et la Chimie à l’Ecole d’agriculture du Chesnoy. Mais, dès le début de sa carrière, il cherche à élargir ses connaissances. En 1906, il traduit le livre de Hall, directeur de la station agronomique de Rothamsted (Angleterre), livre qui porte sur le sol et l’agriculture. En 1911, Demolon est invité par les Anglais et passe une année dans la grande station de recherches que nous venons de citer. Elle a été fondée par Sir John Lawes et vient d’être prise en charge par Sir John Russell.
Demolon est nommé, après concours, directeur de la Station agronomique et du Laboratoire départemental de bactériologie du département de l’Aisne, à Laon. Il y reste 18 ans, de 1909 à 1927.
Entre temps, il a préparé et rédigé en grande partie une thèse. Mais tous les éléments correspondants seront détruits au cours de l’occupation de la ville par les troupes allemandes, pendant la guerre de 14-18. Lui-même est mobilisé, grièvement blessé, gazé; sa vision est très diminuée. Il sera toute sa vie handicapé par ses blessures. Cette première thèse devait porter sur la microbiologie. Il en reste deux mémoires parus en 1907 et 1909 sous le titre : « Contributions à l’étude des produits volatils dans la fermentation alcoolique».
Après la guerre, de retour à Laon, Demolon recommence une deuxième thèse, cette fois-ci sur les argiles des terres de limons du Bassin parisien : « Recherches physico-chimiques sur les argiles à brique, phénomènes d’absorption dans les colloïdes ». Il la soutient en 1926. Il est alors le seul chercheur-agronome français à avoir une thèse de doctorat universitaire, les autres se contentant de leur titre d’ingénieur qui suffit largement, à l’époque, pour faire carrière. Son titre de docteur joint à d’évidentes qualités personnelles le font nommer, très vite, « Inspecteur général des stations et laboratoires » au ministère de l’Agriculture, en remplacement d’Albert Bruno passé aux Potasses d’Alsace. Demolon assume en outre la direction de la Station centrale d’agronomie du Centre de recherches agronomiques de Versailles (CNRA). Ce Centre qui a été fondé en 1922.
Demolon parle parfaitement l’anglais. D’autre part, Madame Demolon, d’origine géorgienne, pratique parfaitement le russe et lui-même sait beaucoup d’allemand. La maîtrise de ces langues lui permet d’acquérir une remarquable connaissance de la science internationale et d’introduire, le premier, certaines notions nouvelles dans la Science des sols en France. Ses ouvrages en témoignent par leur contenu mais aussi par leur bibliographie. Ils citent les auteurs étrangers ce qui n’est pas le cas de tous les chercheurs contemporains. Par exemple, dans les références bibliographiques des « Principes d’agronomie », 37 seulement sont françaises sur un total de 187 !

Puis Demolon remplace A. Th. Schloesing (le fils) aux Arts et métiers pendant les années 1930 et 1931. Pendant les années de guerre, de 1939 à 1945, Demolon fait tout pour maintenir une activité scientifique de haut niveau et pour faciliter les travaux de ses collaborateurs. Après le conflit, de 1945 à 1950, il est chargé du cours de physico-chimie du sol à l’Ecole nationale du Génie rural (ENGR). En 1944 – 1946, il est étroitement mêlé aux discussions et il prend part aux manœuvres et controverses qui vont précéder la transformation du patrimoine foncier et agronomique français afin de le regrouper pour créer l’Institut National de la Recherche Agronomique (18 mai 1946).
En 1945, Albert Demolon demande à faire valoir ses droits à la retraite. Sa santé n’est pas florissante. Le 11 mars 1946, il est élu à l’Académie des sciences, en remplacement de Moussu, dans la section « d’Economie rurale » (c’est le classement de l’agronomie depuis Lavoisier).
En 1954, très affecté par le décès de Madame Demolon, il meurt le 3 août, âgé de 73 ans.

 

Œuvre scientifique
Comme beaucoup d’agronomes du XXème siècle, Demolon a écrit de très nombreuses notes et communications qui sont dispersées dans des revues scientifiques. On donne quelques références dans le Dictionnaire de Letouzey.
La grande période de publication de Demolon va de 1931 à 1949. Il écrit en particulier : « La dynamique du sol » en 1931 et « Croissance des végétaux cultivés » (1934), les deux étant regroupés sous l’appellation : « Principes d’Agronomie ». On lui doit aussi « La génétique du sol » (1949), le « Guide pour l’étude expérimentale du sol » publié avec Désiré Leroux (1933) et « Les bases expérimentales de la fumure azotée».
Certains de ces ouvrages ont été réédités de nombreuses fois. Une excellente analyse de l’œuvre de Demolon a été présentée par René Fabre à la séance du 9 janvier 1956 de l’Académie des sciences.
En 1920, quand Demolon revient à Laon, la grande affaire de la Science du sol est l’exploration des propriétés colloïdales des sols et l’étude de leur complexe absorbant. Sa seconde thèse ne sera donc pas microbiologique comme celle d’avant guerre mais physico-chimique. Le prolongement en sera la mise en chantier de toute une série de recherches sur la physique des sols et les argiles. Stéphane Hénin, mis sur le sujet par Demolon, va développer avec ses élèves ce champ de connaissances. Les travaux et les programmes de Demolon sont ainsi à l’origine d’une Ecole française qui réalisera des avancées majeures dans le domaine en question.
Un autre pan de l’étude des sols dans lequel Demolon est intervenu est la Pédologie. Cette discipline était pratiquement ignorée en France avant 1931, à l’exception des travaux d’Agafonoff (1931) et de H. Erhart (1935). Mais ces deux hommes, chacun dans leur genre, étaient des isolés, œuvrant  en marge des domaines prospectés par les recherches agronomiques. C’est à peine si Guinier avait introduit des notions de Pédologie dans son cours de Nancy. Quand Demolon revient d’URSS, en 1931, il fait commencer des études pédologiques à l’Institut des recherches agronomiques. Des jeunes chercheurs sont mis au travail : Gustave Drouineau, Georges Aubert et Stéphane Hénin en particulier. Une association scientifique, l’Association française pour l’étude du sol, l’AFES, est mise en place par Auguste Oudin et Albert Demolon.
L’association internationale de la science du sol (AISS) a failli sombrer à cause de la guerre de 1939-1945. Les dirigeants de l’époque étaient allemands… A la sortie du conflit, en 1947, Demolon organise la Conférence de pédologie méditerranéenne, à Montpellier et Alger, du 1er au 7 mai. L’AISS est relancée. Demolon sera nommé membre d’honneur de cette Association.
De plus, Demolon a mis en route l’expérience des cases lysimétriques de Versailles et celle des 42 parcelles. Ses successeurs ont exploité ces expérimentations de longue durée et ont dégagé des évolutions à long terme au moyen de nombreuses analyses.
En 1932, Demolon en publiant les « Bases expérimentales de la fertilisation azotée » donne le coup d’envoi de la grande aventure que fut, en France, l’emploi des engrais azotés. Elle a eu pour résultat de doubler au moins les rendements moyens des céréales et de la plupart de nos récoltes en permettant l’utilisation des variétés nouvelles à haut rendement. La part de Demolon dans les résultats acquis est considérable, mais parfois difficile à mettre en lumière. Il a publié sur les nitrates d’ammonium, sur l’inoculation des graines de légumineuses, sur le fumier artificiel. Un résultat qui lui appartient en entier, car il a été acquis en 1912 à une époque où il travaillait seul, est la démonstration de l’oxydation microbienne du soufre dans les sols.
Pour Demolon, le sol n’est pas un simple support ou un milieu chimique pour les plantes; c’est un milieu vivant, siège de transformations quasi permanentes par l’hydrolyse, l’action des micro-organismes et de tous les êtres vivants qui constituent une part importante du sol. Dans ce domaine et en France, Demolon a été l’avocat de notions déjà bien développées à l’étranger mais dont l’introduction dans un corps de chercheurs dominés par les chimistes, lui a valu des oppositions plus ou moins sournoises. Barbier, grand savant et membre d’honneur de l’AISS, disait avec humour de la Pédologie : « C’est une occupation pour le dimanche ».
Demolon a étudié au laboratoire les complexes du fer et de la silice (avec Bastisse) et la dynamique du fer (travaux de Bétrémieux). Ses collaborateurs se sont illustrés en mettant au point des méthodes de mesure et d’analyse, en particulier : Barbier, Hénin et Chaminade. Les résultats qui ont été publiés par la Station d’agronomie de Versailles, du temps de sa direction ou de celle de ses élèves, sont nombreux et importants.
Albert Demolon a aussi écrit des ouvrages de vulgarisation comme « La Génétique du sol » dans la collection « Que sais-je » (n° 352, 1945) et surtout un ouvrage d’histoire et d’épistémologie : « Evolution scientifique de l’agriculture française » (1946).

Demolon et l’INRA

Albert Demolon a été Inspecteur général au ministère de l’Agriculture. Il a rédigé de nombreux rapports, a recruté, nommé ou fait nommer à des postes de direction des hommes de toutes sortes. Il ne tenait compte que de la valeur personnelle des individus et, par exemple, son garçon de laboratoire, Bastisse, formé sur ses conseils au Conservatoire des arts et métiers, a pu faire une carrière remarquable. Il a soutenu aussi ses collaborateurs les plus directs :  S. Hénin, G. Aubert, G. Drouineau, et d’autres aussi : Barbier, Chaminade, Coïc, Aubert, Joret, Hébert, etc.
A son arrivée à Versailles, il reprend en charge les Annales agronomiques et les relance. Pour cela, il institue en 1930 une « Seconde série » dont il améliore la présentation et le contenu en pesant sur ses administrés pour obtenir des articles de qualité.
Michel Flanzy a dit de lui : « Demolon est à l’origine de la promotion scientifique de notre maison. Sans lui l’INRA n’aurait pas acquis aussitôt l’esprit scientifique qui a élevé la science agronomique au rang de la science tout court ». Par exemple, Demolon organise des conférences de formation pour les directeurs de stations qui se réunissent de temps à autre à Versailles. En 1932, il invite Lagatu, professeur à Montpellier et correspondant de l’Académie des sciences, pour leur faire  une conférence sur la philosophie de la science. En 1934, Maurice Lenglen, historien de l’agronomie, vient leur parler de « Lavoisier agronome ».
L’Institut des Recherches Agronomiques, l’IRA, a été créé par décret le 26 décembre 1921 par le Président de la République A. Millerand et son ministre de l’Agriculture E. Lefebvre du Prey. Mais  d’après René Dumont, jusqu’en 1930, la Recherche agronomique française n’a été le fait que d’une centaine de chercheurs. C’était l’effectif aligné par les Allemands dans la seule station agronomique de Münchenberg dévolue à la sélection de la pomme de terre !
Les années 1940-1948 sont marquées par la transformation de l’IRA en INRA c’est à dire par une mutation importante de la structure administrative de la recherche agronomique qui devient « Nationale ». C’est l’occasion d’une vive opposition, restée dans les mémoires,  entre d’une part Demolon, Maurice Lemoigne, Joseph Lefevre et d’autre part Charles Crépin. Les premiers défendent une approche purement scientifique. Joseph Lefevre, généticien, est professeur d’Agriculture générale à l’INA. Maurice Lemoigne, est directeur du laboratoire des fermentations de l’Institut Pasteur et membre de l’Académie des Sciences qu’Albert Demolon rejoindra en 1946. Les trois sont membres de l’Académie d’Agriculture. Ce sont des partisans d’une stratégie favorisant la recherche fondamentale. En revanche, Charles Crespin est le porte parole d’une analyse plus empirique et pratique de l’expérimentation agricole.

L’Institut National de la Recherche Agronomique, l’INRA, a été créé le 18 mai 1946 par une loi votée à l’Assemblée nationale, le ministre de l’Agriculture étant Tanguy-Prigent.  « Par un véritable jugement de Salomon » dit Bustarret, les autorités  nomment Lemoigne président du Conseil scientifique de l’INRA, et Charles Crépin directeur général (premier juillet 1946).

Au total Demolon a joué un rôle essentiel dans le développement de l’INRA, Il y a introduit une démarche avant tout objective, collective, expérimentale, répétitive, rationnelle et normative. Avec lui est née la « Recherche agronomique » moderne et sans doute aussi cette « culture d’entreprise » qui caractérise l’INRA,  représente une qualité sensible au visiteur, et assure à la fois le dynamisme et la réputation de la Maison. Il a aussi créé l’Association Française pour l’Etude du Sol. Enfin, il a laissé des ouvrages qui ont fait date.

Jean Boulaine, Académie d’Agriculture de France

 

Ouvrages

1906 – Traduction de l’anglais du livre de A. D. Hall  « Le sol en agriculture. Propriétés chimiques, physiques et biologiques ». J. Baillères et fils, Paris.
1931 – Principes d’Agronomie. Tome 1 : La dynamique du sol. Autres éditions en 1938, 1944, 1949 (celle de 44 a 386 pages), Dunod, Paris.
1932  – Les bases expérimentales de la fumure azotée.
1934 – Principes d’Agronomie. Tome 2. La croissance des végétaux. Dunod, Paris, 307 p.
1946 – L’évolution scientifique de l’agriculture. Taillandier, Paris.
1949 – La génétique de sols. Collection « Que sais-je ? », n° 352, P.U.F, Paris. Le numéro a été repris et affecté à « La Pédologie » de G. Aubert et J. Boulaine, même collection (1965).

 

Bibliographie

ACADEMIE D’AGRICULTURE, 1961. Les aspects et les étapes de la recherche agronomique en France. Tiré à part regroupant les exposés consacrés à l’histoire de l’agronomie, rédigés et publiés durant l’hiver 1960-1961 à l’occasion du bicentenaire de la fondation de la Société d’agriculture de Paris. Ac. Agr., Paris.
ANONYME, 1954. Biographie de A. Demolon. C. R. Ac. Agric., pp. 622-623.
BOULAINE J., 1989. Histoire des pédologues et de la science du sol. INRA, Paris, 292 p.
BOULAINE J., LEGROS J.P., ARGELES J., 1988. Henri Lagatu, la Pédologie lui doit beaucoup. Agriculture, n°528, avril, pp. 18-20.
BOULAINE J., LEGROS J.P., 1998. D’olivier de Serre à René Dumont, portraits d’agronome. Lavoisier Tec & doc, 17 p.
CRANNEY J., 1996. INRA, 50 ans d’un organisme de recherche. INRA, Paris, 525 p.
FABRE R., 1956. Notice sur la vie et l’oeuvre d’Albert Demolon. Séance du 9 janvier 1956, C. R. Ac. Sc; 242 pp. 1-12. Cette notice a été reproduite dans le n° spécial des Cahiers de Pédologie de l’ORSTOM sur le cinquantenaire de l’AFES: Cah. ORSTON série pédologie, Paris, vol. XXI, n° 2/3, 1984-1985, pp. 139-143.
WACKSMANN S., 1964. Ma vie avec les microbes. Traduit de l’anglais, Albin Michel, Paris, 344 p.