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Georges AUBERT (1913-2006)

Georges AUBERT

Georges AUBERT est une des grandes figures de la pédologie du xxe siècle. Sa notoriété fut internationale. Cette courte biographie a été rédigée à partir d’extraits de l’ouvrage de C. Feller : Georges Aubert et les Sols (1913-2006) (IRD, 2013).

Biographie

Georges AUBERT  est né à Paris le 3 mars 1913 et décédé à Romorantin le 6 septembre 2006.

Formation

Il a une double formation d’agronome et de naturaliste : ingénieur agronome de l’Agro-Paris en 1933, il sera licencié en sciences naturelles en 1936 après l’obtention des certificats de Physiologie, Géologie, Botanique et Minéralogie. Cette formation luis donne un excellent bagage de naturaliste qui lui sera très précieux ensuite.

Carrière scientifique

Avant d’entrer un peu plus dans le détail des travaux de G. AUBERT, nous survolerons rapidement le déroulé de sa carrière scientifique.

En 1934, il est recruté au Centre national de recherches agronomiques (CNRA), affecté au Laboratoire des sols de Versailles, comme assistant d’André Demolon qui avait récemment créé ce laboratoire. Il y reste jusqu’en 1944 comme chef de travaux et chercheur de l’Institut de la recherche agronomique (IRA).

Le 1er août 1944, il est détaché à l’Office de la recherche scientifique coloniale (ORSC), en qualité de directeur de laboratoire, puis de chef du service des Sols et de la section de Pédologie. L’ORSC deviendra rapidement l’Orsom puis l’Orstom (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (Orstom), aujourd’hui Institut de recherche pour le développement (IRD).

Chef de la section de Pédologie de 1944 à 1975, il gravira rapidement tous les échelons administratifs et sera aussi, pendant quelques années (1957-1961), Directeur de l’Institut d’enseignement et de recherches tropicales (Idert) à Bondy puis professeur de pédologie et chargé de l’Inspection générale de la coopération à l’Orstom.

Il assurera aussi la charge de Conseiller scientifique de l’Institut de recherche d’agronomie tropicale et des cultures vivrières (Irat), et de l’Institut de recherche sur le coton et les textiles tropicaux (IRCT) ainsi que la présidence du Groupe d’études pédologiques en Amérique latine.

Il prendra sa retraite administrative en janvier 1975, mais continuera d’être pratiquement présent à toutes les réunions et manifestations pédologiques jusqu’à peu d’années avant sa mort.

Le projet de Georges Aubert en 1937 (à 24 ans)

En 1937, se tient à Paris une exposition internationale incluant un congrès sur « La recherche scientifique dans les territoires d’outre-mer ». Un jeune « pédologue » (24 ans) de l’IRA,  Georges Aubert, présente une courte communication de quatre pages sur les recherches pédologiques qu’il serait bon d’entreprendre dans les colonies françaises.

Aubert G., 1938 – La pédologie et la France d’outre-mer. Actes et comptes rendus de l’Association colonies-sciences, Paris, 14e année, mars 1938, n° 153. Communication de M. G. Aubert : 256-259.

Voici quelques extraits de la communication de G. Aubert :

« Entreprendre l’étude pédologique de nos colonies, c’est vouloir compléter leur étude géologique, qui a déjà donné si souvent des résultats intéressants, par une connaissance approfondie de l’histoire de leurs sols : leur formation, leur évolution, leur état actuel et le sens de leur évolution future. Cette étude, purement scientifique, pourra servir de fondement pour des recherches agronomiques. Nous chercherons alors à connaître l’effet sur chaque sol des traitements que nous pourrons lui faire subir, et ainsi les méthodes de culture qui lui sont le mieux adaptées… Pour conserver à l’ensemble de ces recherches une unité, il faudra toujours, quelle que soit la région envisagée, partir des mêmes principes ; il faudra adopter pour les sols de toutes nos colonies une même classification… Deux séries d’études sont à prévoir : une cartographie des sols à grande échelle – au moins 1/1 000 000 – et à échelle beaucoup plus fine – au plus 1/50 000 ».

 À côté des aspects scientifiques et techniques, G. Aubert pointe aussi les nécessités :

  • d’une recherche in situ sur les sols d’outre-mer avec une présence permanente de pédologues spécialisés,
  • d’un laboratoire central en France, moderne et bien équipé, mais aussi de laboratoires outre-mer répartis dans différentes zones climatiques méditerranéennes et intertropicales,
  • de développer un important système de formation à l’étude des sols des régions chaudes pour des étudiants français et étrangers.

Qu’est-il arrivé finalement ?

En 1941, il publie un remarquable ouvrage de synthèse sur notre connaissance des sols tropicaux.

AUBERT G., 1941 – Les sols de la France d’outre-mer. Paris, Imprimerie nationale, 90 + xiv p.

L’Orstom est créé en 1944 et G. Aubert est chargé de développer les recherches et la formation sur les sols d’outre-mer. Au départ, le territoire sera partagé entre trois personnalités: G. Aubert pour l’AOF, Henri Erhart pour l’AEF et Stéphane Hénin pour la Guyane et Madagascar. Assez rapidement, tout tombera dans l’escarcelle de G. Aubert, même si son implication en Guyane et Madagascar ne fut qu’assez tardive.

L’édition par l’Orstom, en 1974, de l’ouvrage 30 ans de Pédologie est la plus belle illustration que le projet de G. Aubert de 1937 était pratiquement accompli 30 ans plus tard :

  • une classification française des sols (CPCS, 1967) très détaillée pour les sols tropicaux ;
  • plus de 1 000 cartes de sols couvrant 4 500 000 km2 des régions méditerranéennes et tropicales,
  • plus de 300 pédologues français et étrangers (35 pays) formés par l’Orstom durant ces trente années.

Quelques aspects des recherches personnelles de Georges Aubert

Comme responsable de la pédologie à l’Orstom, G. Aubert a participé, à travers ses élèves et collaborateurs, à l’ensemble des recherches menées en science du sol dans cet institut. Faire une description des travaux scientifiques de G. Aubert revient à couvrir l’histoire de la pédologie à l’Orstom. Ici, nous n’évoquerons que quelques aspects de cette discipline où la marque personnelle de G. Aubert est très significative, soit qu’elle corresponde à ses premiers travaux personnels, soit que sa notoriété internationale soit grande sur ces thèmes.

Le processus de « lessivage » et les « sols lessivés »

Jusqu’en 1950, il y a une grande confusion des deux notions de « lessivage » (migration d’argile) et de lixiviation (transfert d’éléments en solution, entre autres sur le concept de « podzolisation ».

Par exemple, en 1944, Demolon évoque dans la Dynamique des sols, que « la migration de l’argile ne s’observe que dans les climats humides et caractérise les sols podzoliques » et écrit : « les sols podzoliques sont des sols lessivés ». C’est dans cette même édition que G. Aubert, qui a rédigé le chapitre III sur la classification des sols, distingue déjà la série « podzolique » de la série « lessivés ».

AUBERT G., 1944 – « Les sols de France et d’outre-mer ». In Demolon A. : La dynamique du sol, 3e édition, Paris, Dunod, Chap. III : 53-85.

Selon Boulaine « le terme lessivé semble avoir été créé par G. Aubert en 1936 et employé pour la première fois dans une publication scientifique par A. Oudin en 1937… » (publication non retrouvée). Les discussions ultérieures entre G. Aubert et Philippe Duchaufour permettront à Ph. Duchaufour, dans sa thèse de 1948, de bien distinguer les deux processus : le lessivage qui est « un entraînement purement mécanique des colloïdes électronégatifs », la podzolisation qui est un processus chimique. Le terme de « sol lessivé » sera ensuite popularisé par les deux savants, que ce soit par leurs écrits ou par leur parole, dans le monde entier.

Les différents types de Vertisols

C’est au début des années 1960 que le concept de Vertisol est adopté très rapidement dans le monde entier, mais ce sont G. Aubert et les pédologues de l’Orstom qui distinguent, au congrès de Gand en 1962, les « vertisols lithomorphes » (dont la genèse est fortement dépendante de la nature de la roche-mère et qui ont un bon drainage externe) des « vertisols topomorphes » dont la formation est fortement dépendante de la position topographique et qui ont un mauvais drainage externe. Cette distinction est évidemment extrêmement importante ensuite en termes de gestion de ces sols.

Les sols à sesquioxydes des régions chaudes

L’apport de G. Aubert et des pédologues de l’Orstom est évidemment majeur pour la connaissance de ces sols, nommés initialement Sols latéritiques et qui ont d’abord été rassemblés dans une classe unique de Sols à sesquioxydes avant d’être séparés, sous l’impulsion d’Aubert, en Sols ferrallitiques (1954, 1960), Sols ferrugineux tropicaux (1947 Paris-Alger, Léopoldville 1954, Bucarest 1960 ou 1964) et Sols isohumiques (1949, 1950), ces deux dernières classes étant ensuite regroupées dans la classe des Sols fersiallitiques (CPCS, 1967).

Les sols salsodiques

Selon G. Pédro, ceci est « la grande affaire de Georges Aubert ».

En effet, G. Aubert dès le début de sa carrière montre un fort intérêt pour les processus de salinisation, puisque parallèlement à ses tout premiers travaux de cartographie des sols du quart nord-ouest de la France entre 1935 et 1944, il est chargé, dès 1937, de plusieurs missions en Algérie occidentale, à Relizane (plaine du Chélif) sur le problème concret de la salinisation progressive des sols des périmètres irrigués de la plaine du Chélif, en particulier des sols salés, étude qui sera menée en collaboration puis poursuivie par J. Boulaine dès 1949 et se conclura avec la publication de la thèse de ce dernier (Boulaine, 1957) : l’Étude des sols des plaines du Chélif.

La carte des sols salés d’Afrique et la notice l’accompagnant seront présentées par G. Aubert en 1977 au cours d’une conférence internationale aux USA intitulée « Managing saline water for irrigation ».

Cet intérêt le tiendra toute sa vie, et il fut considéré comme un des grands spécialistes mondiaux de ce sujet. Jusque vers les années 1980, il était encore consulté sur ce sujet.

Les horizons indurés

C’est à Aubert que l’on doit aussi l’hypothèse (et la vérification ultérieure) d’une origine pédologique à de nombreux horizons indurés rencontrés dans les sols et souvent considérés comme d’origine géologique, ainsi que la typologie de ces mêmes horizons comme les divers types de carapaces et cuirasses ferrugineuses en 1954, ainsi que les croûtes calcaires et gypseuses, dès 1954 et 1960 (congrès de l’AISS à Bucarest, puis à Madison, USA).

Mais l’image générale que donne G. Aubert dans le monde entier est celui du cartographe et du classificateur.

 

Georges Aubert, classificateur et cartographe

Aubert aura consacré une très grande partie de son activité scientifique à l’aller-retour entre cartographie et classification.

Sa carrière débute (1935 à 1946) avec la cartographie, à pied et en vélo, du quart N-O de la France.

En 1974, dans 30 ans de Pédologie le bilan, déjà signalé ci-dessus, est, pour ce thème à l’Orstom : (i) une classification française des sols (CPCS, 1967) très détaillée pour les sols tropicaux, (ii) plus de 1 000 cartes de sols couvrant 4 500 000 km2 des régions méditerranéennes et tropicales.

[AUBERT G.], 1974 – « Avant-propos », pp. 5. In Maignien R. et coll. : 30 années de Pédologie, 1944-1974, Paris, Éd. Orstom, 46 p.

Au-delà de ses propres travaux et de ceux de l’Orstom, G. Aubert participera aux discussions sur les principales classifications et cartes mondiales des sols : FAO, USA (Soil Taxonomy), Carte des sols de l’Europe,  de l’Afrique, etc.

 

Les publications de Georges Aubert

De son vivant, j’ai souvent entendu dire que Georges Aubert « n’écrivait pas facilement et ne publiait pas ». La réalité quand on lit l’inventaire de ses publications, c’est qu’il n’a jamais écrit LE livre que toute la communauté pédologique attendait.

Mais voilà tout de même ce que j’ai répertorié de la production scientifique écrite de G. Aubert :

  • 210 articles scientifiques, dont une très large majorité en premier auteur,
  • 98 communications dans les CR de l’Académie d’Agriculture,
  • 160 rapports multigraphiés,
  • … sans compter les rapports de mission et les cours de pédologie !

 

Georges Aubert professeur

Dès 1942, il est nommé professeur de pédologie des régions tropicales, à l’École supérieure d’application d’agriculture tropicale. Il sera ensuite successivement chargé de cours ou professeur à Nancy, à Angers, à Grignon, à l’École des travaux publics, à l’Institut d’élevage et de médecine vétérinaire des pays tropicaux (IEMVT), à l’École nationale du génie rural, à la Sorbonne, à l’Université de Paris 6… sans oublier l’Orstom comme Professeur de pédologie générale depuis 1944 et de géographie des sols à partir de 1950.

Il donnera aussi de très nombreuses conférences à l’étranger dans des universités et centres de recherche : USA, Grande-Bretagne, Belgique, Allemagne fédérale, Hongrie, Portugal, Espagne, Bulgarie, URSS, Mexique, Colombie, Venezuela, Égypte, Afrique du Nord, etc.

Pour conclure, Georges Aubert fut reconnu internationalement comme l’un des meilleurs connaisseurs de la diversité des sols du monde, ce que montrent ses activités et ses positions dans diverses compagnies et sociétés savantes. Nous n’en citerons que quelques-unes :

  • Académie d’agriculture de France : élu membre (à 41 ans) en décembre 1954, puis président en 1970.
  • Académie des sciences d’outre-mer : élu membre en 1964, vice-président en 1984 puis président en 1985.
  • Comités de direction du Bureau interafricain des sols et du Service pédologique interafricain : représentant français en 1959, 1960 et 1961.
  • Comité consultatif de l’Unesco pour la zone aride : membre de 1954 à 1958 ; président en 1956 ; et membre du Comité français du MAB.
  • Comité national français pour l’Unesco : élu membre en 1958.
  • Membre de la Commission nationale du CNRS.
  • Comité de la protection de la nature outre-mer : membre de 1948 à 1958.
  • Association internationale de science du sol : vice-président (de 1950 à 1960) de la Commission des sols tropicaux puis président de la Commission V et élu membre d’honneur.
  • Association française de science du sol : président de 1959 à 1962.
  • Comité scientifique et Comité directeur du Service d’étude des sols et de la carte pédologique de France (SESCPF) : président en 1968.

Il reçut aussi des prix des Académies d’agriculture et des Sciences, fut nommé Chevalier puis Officier de la Légion d’honneur, Chevalier puis Officier des Palmes académiques, Officier du Mérite agricole.

Mais à côté du scientifique et du meneur d’hommes, il y a aussi un Georges Aubert très chaleureux, connu pour ses grandes qualités humaines. L’homme de terrain est aussi l’ami toujours prêt à faire la fête, que ce soit dans les congrès ou « en brousse », ou encore chez lui avec sa famille, y accueillant les plus grands noms, mais aussi les autres, de la science du sol.

Christian FELLER