Le rés’eau sol (Tarn-Occitanie) : 10 ans et plus de 150 fermes accompagnées !
Découvrez l’interview de l’une des membres fondatrices du projet rés’eau sol (Tarn – Occitanie), Céline RIVES THOMAS , gérante de la Coopérative Rhizobiòme, qui pilote le programme rés’eau sol.

Question 1 : Le rés’eau sol, c’est qui et quoi ?
Le rés’eau sol est un programme d’accompagnement de groupes d’agriculteurs qui veulent mieux connaître leurs sols. Le programme a fêté ses 10 ans !
Le projet naît d’une volonté d’apporter des éléments de connaissance des sols, des outils et méthodes pour l’observer afin de redonner aux agriculteurs l’autonomie nécessaire pour faire des choix éclairés de pratiques culturales adaptées. Il s’agit d’amener le « labo au champ », pour permettre à l’agriculteur de retrouver sa capacité d’observation, et la confiance en son propre jugement sur ce qui se joue sous ses pieds.
Concrètement, c’est un programme de Sciences participatives qui forme sur un cursus de 3 ans une promotion d’une dizaine d’agriculteurs selon deux modalités :
- Un accompagnement collectif : connaitre les fondamentaux sur les sols et les protocoles d’observation de l’état du sol (notamment low tech)
- Un accompagnement personnalisé sur leur ferme en choisissant 2 parcelles à étudier en pratiquant la méthode scientifique et en choisissant des protocoles d’observation adaptés à la question à résoudre.
Les participants ont également accès à un centre de ressources, le Pecnot’lab, dans lequel ils trouvent entre autres de la documentation, et un petit laboratoire équipé pour les analyses de leurs échantillons de sols nécessitant du matériel spécifique de laboratoire.
Chaque année, les résultats des observations au champ et au laboratoire sont mises en commun pour une interprétation entre pairs et un partage des expériences, en les plaçant dans une posture de recherche proactive.
Un des objectifs recherché est d’ouvrir les cercles habituels d’interconnaissance en mélangeant les profils et types d’agriculture, mais dans un contexte pédologique similaire.
Question 2 : Comment est né le projet initialement ?
Le rés’eau sol est le petit frère d’une autre programme, le rés’eau sagne, programme dédié à la préservation des zones humides du Tarn. Les zones humides ayant largement disparu des secteurs de plaine de ce département, la coopérative Rhizobiòme a défendu auprès de l’Agence de l’eau Adour-Garonne la nécessité d’élargir la thématique pour considérer que tous les sols contribuent à la régulation des écoulements dans le bassin.
C’est en 2010 qu’a germé l’idée et les premiers groupes ont commencé à être formés en 2014 pour tester de manière expérimentale la méthode. Le processus s’est stabilisé au fil des années avec comme enjeu l’autonomisation des agriculteurs sur les techniques d’observation des sols.
“Ce n’est qu’en 2021 qu’on a découvert qu’on faisait des Sciences Participatives en présentant notre projet au colloque INRAE de 2021”, nous dit Céline. “Mais cela n’a rien changé à nos pratiques!”

Crédit : Rhizobiome
Question 3 : Mais alors, quelles sont les actualités du projet ?
Le réseau a 10 ans déjà ! 150 fermes ont déjà suivi le cursus et une 20e est est en cours de formation actuellement.
Les mesures collectées depuis 10 ans sur les 150 fermes alimentent une base de données qui commence à être conséquente. Une base de référentiel commence à se dessiner.
Malgré les bons retours sur l’intérêt de ce programme, il est difficile de tenir le même format dans la durée. Dans un contexte d’obtention de financement difficile, une réorientation du contenu du programme est en cours de réflexion. La nouvelle formule du rés’eau sol va se concentrer sur les grandes cultures. Si les profils les plus faciles à attirer dans une dynamique de sciences participative sont les maraîchers, les dysfonctionnements majeurs s’observent plus sur les grandes cultures qui couvrent de bien plus larges surfaces.
Il faut donc aujourd’hui renforcer le référentiel de connaissances de l’état de santé des sols sur les grandes cultures, tout en restant ouvert aux autres types d’agricultures et aux promotions passées. Cela veut aussi dire de se rapprocher d’une population moins encline à consacrer du temps à se former sur les sols. Un nouveau challenge à relever !
Question 4 : Quelles sont les difficultés rencontrées s’il y en a et les leviers/solutions trouvé(e)s ?
Actuellement, sans aucun doute, c’est la recherche de financement et la mobilisation de moyens suffisants pour poursuivre le dynamique.
En 2010, le sol n’était pas du tout un sujet qui intéressait les politiques publiques et les acteurs de terrain. L’ambition a donc été de créer des ambassadeurs du sol, formés pour parler autour d’eux des enjeux de la santé des sols. Il n’y avait aucun réseau existant sur lequel s’appuyer. Il a fallu tout monter depuis la base !
Et maintenant, l’enjeu c’est de tenir sur la durée… Les financeurs aiment tout ce qu’ils peuvent mettre sous la catégorie “innovation” donc le démarrage de nouveaux programmes n’est pas le plus difficile, les fonds se débloquent relativement facilement. Mais pour que l’investissement de départ porte vraiment ses fruits sur des opérations comme le rés’eau sol, il faut au moins se projeter sur le moyen/long terme. Or là, les politiques publiques suivent moins facilement.
Faire bouger les agriculteurs sur la question du sol demande un travail de mise en confiance qui prend du temps. La pérennité est une condition du succès, pas simple à garantir avec des financements à renégocier chaque années.
La seconde difficulté tient à l’animation du réseau et au maintien sur la durée de la motivation initiale des participants. Avec certains groupes, cela fonctionne facilement quand pour d’autres groupes, c’est plus long de « faire prendre la mayonnaise ». De plus, faire entrer un programme de formation dans un calendrier de travail déjà très chargé s’avère assez difficile. La complexité du sujet et le manque de temps en découragent certains.
On observe quand même un engouement fort pour le sol mais reste que la posture classique de « je veux une recette toute faite et une solution tout de suite » est très ancrée dans le monde agricole. La démarche scientifique peut être exigeante et frustrante pour certains. L’objectif n’est pas d’en faire des spécialistes de la pédologie mais bien de développer chez eux un esprit critique face aux solutions toutes faites qui leurs sont proposées, afin qu’ils soient outillés pour comprendre ce qu’il se passe chez eux et qu’ils retrouvent leur pouvoir de décision. Qui mieux qu’eux connait leur terre ?

Crédit : Rhizobiome
Question 5 : Quelles sont les perspectives du projet ?
Comme évoqué plus haut dans une question précédente, c’est vraiment la volonté de se recentrer sur des profils « grandes cultures » pour consolider le référentiel de valeurs de santé des sols d’Occitanie. Il s’agira de développer une posture nouvelle d’accompagnement, mieux adaptée au profil sociologique des agriculteurs en grandes cultures.
Une recherche de nouveaux protocoles utiles sera développée.
Le rés’eau sol va également contribuer au projet SOILAB qui a pour perspective de valoriser le travail réalisé par des programmes ayant déjà une certaine expérience.
D’autres rés’eau sol se sont déjà formés, comme le rés’eau sol Alsace. Bien qu’il n’y ait pas une recherche ou objectif de créer d’autres réseaux, la méthode est disponible et Rhizobiòme peut accompagner des structures motivées et partageant les valeurs du programme (formation, conseil, posture d’accompagnement, charte des valeurs à signer pour utiliser le nom, accès à Eïwa shop…), à monter leur propre rés’eau sol dans sa région.
Question 6 : Pour finir sur une note positive, le point fort / différenciant du projet ! Qu’est-ce que le projet vous apporte à titre perso/pro ? Un moment particulier/anecdote à raconter ?
Le point fort de la démarche, c’est d’être très implantée dans son territoire. Le programme part toujours de la réalité d’un territoire : réalité physique, historique, sociologique, géographique. Cela fonctionne si on répond à des enjeux locaux avec les acteurs locaux. Le contexte socio-culturel va déterminer la manière de faire et d’évoluer. Cela diffèrera d’une région à l’autre. Le rés’eau sol Occitanie n’a pas la même approche que le rés’eau sol Alsace, simplement parce que les codes culturels sont différents.
L’autre point fort de ce programme est le « non jugement » des personnes et de leurs choix. Il s’agit pour chacun de mettre en mouvement une réflexion, quel que soit le point de départ sur le sujet des sols. On se donne 3 ans au moins pour engager ce mouvement.
C’est assez passionnant de voir l’ouverture que le dialogue entre paysans bio et paysans conventionnels permet . Le sol est un sujet commun qui réunit tous les paysans. Le rés’eau sol a permis de casser des cercles d’habitude, de provoquer de belles rencontres, et de dépasser les préjugés. Dans le cadre du programme, il n’y a pas de jugement sur les pratiques, juste une observation du sol ensemble sans notion d’idéologie meilleure qu’une autre.
Les paysans évoluent et font bouger les lignes autour d’eux.
La Coopérative Rhizobiòme est ainsi fière de créer les conditions pour que ces échanges soient possibles.
Bref : Le sol réunit tout le monde !

Crédit : Rhizobiome
–> En savoir plus sur le réseau de porteurs de projets en sciences et recherches participatives sur les sols ICI.